Pertes d’Exploitations liées à la pandémie Covid 19 : Le Tribunal de Commerce de Paris donne raison en référé à un restaurateur contre AXA ; Les raisons et véritables impacts de cette décision.

Par Léonid GNINAFON, Avocat au Barreau de Clermont-Ferrand, LKJ AVOCATS

Dans un précédent article nous avions exposé la question des pertes d’exploitations subies par les entreprises du fait des fermetures liées à l’urgence sanitaire covid 19
Loin de céder à l’emballement et nous ranger d’emblée derrière des positions, certes compréhensibles du fait de la situation exceptionnelle et l’importance des pertes financières, mais parfois un tantinet dogmatiques, nous avions tenté d’adopter une posture raisonnée voire pédagogique.
Nous avions notamment conclu que malgré les circonstances exceptionnelles, le problème des pertes d’exploitations, s’il devait être pris en compte au titre de la solidarité nationale, ne pourrait se solder par des mesures d’exception, imposées au mépris des stipulations contractuelles au risque de mettre en déséquilibre le système de l’assurance privée dont nous avions expliqué les tenants et aboutissants.
A notre sens l’application des dispositions conventionnelles et des seules dispositions conventionnelles devait prévaloir et pouvait permettre l’indemnisation d’une partie des entreprises lésées par les fermetures arrêtées par le gouvernement au mois de mars.

La décision rendue en référé par le Tribunal de Commerce de Paris ce vendredi 22 semble nous donner raison sur ce point.

Le Tribunal note en effet que si « Axa France explique le caractère inassurable du risque pandémique tant au plan économique que juridique. Ce débat pour intéressant qu’il puisse être et sur lequel les avis divergent ne nous concerne pas. Nous avons à nous prononcer sur l’application d’un contrat d’assurance précis comportant conditions générales, conditions particulières et intercalaire SATEC le tout constituant la loi des parties… »

En l’espèce, pour se prononcer en faveur du restaurateur, le Tribunal souligne qu’aucune disposition légale n’exclut le risque pandémie. Il appartenait donc à AXA d’exclure conventionnellement ce risque.
Ainsi, dès lors que le contrat litigieux comporte une extension de garantie relative à la fermeture administrative, sans la subordonner à la survenance d’un autre événement garanti par le contrat au titre de la perte d’exploitation (ce qui est généralement l’objectif poursuivi par une extension de garantie) et n’exclut pas expressément la circonstance pandémie du risque, la garantie semble à priori être due par AXA au restaurateur.

C’est assez logiquement que le juge du Tribunal de commerce a ensuite balayé les autres arguments d’AXA comme ne relevant pas d’une contestation sérieuse susceptible de faire obstacle à la procédure de référé.

AXA alléguait notamment de ce que la notion de fermeture administrative prévue par son contrat d’assurance se limitait aux fermetures ordonnées par l’autorité préfectorale du lieu siège de l’établissement et n’incluait pas celles décidées par le Ministre de la santé.
Le Tribunal n’a pu que rappeler à l’assureur que prise par le préfet ou par le ministre la décision de fermeture restait une décision administrative et que faute d’avoir exclu les décisions ministérielles de fermeture des évènements garanties, AXA ne pouvait opposer telle argumentation.
La solution eût pu être différente si les définitions contractuelles de la convention d’assurance en question avaient précisément déterminé les contours de la notion de fermeture administrative.
Nous tenons à rappeler encore l’importance des définitions contractuelles dans les contrats d’assurances eu égard notamment aux dernières décisions de la Cour de Cassation en matière d’exclusion de risque (Cassation 3ème Civ 19 septembre 2019 n°18-19616).

Dans le même ordre d’idée AXA soutenait que l’arrêté en date du 14 mars 2020 n’imposait pas la fermeture administrative des établissements mais leur interdisait simplement de recevoir le public tout en les autorisant à maintenir une activité de restauration à emporter et de livraison. Selon l’assureur, l’établissement n’aurait été fermé que par la seule volonté du Chef d’entreprise qui n’a pas voulu se lancer dans la vente à emporter.

L’argument pouvait paraître sérieux compte tenu de la rédaction de l’arrêté du 14 mars, mais fort heureusement, le Tribunal ne s’est tenu à la formulation littérale ni de la clause contractuelle, ni de l’arrêté, considérant que pour une activité de restauration traditionnelle, l’interdiction de recevoir du public équivaut à une fermeture totale ou partielle nonobstant la possibilité de vente à emporter pou de livraison.

Nous tenons à rappeler qu’il appartient à l’assureur de rédiger très précisément les clauses de ses conventions d’assurance, car dès lors qu’il s’agit le plus souvent de contrats d’adhésion, les clauses ambiguës ou obscures seront systématiquement interprétées par le juge en faveur de celui qui ne les a pas rédigées.
Nous rappelons également que la matière de l’exclusion conventionnelle en assurance ne laisse aucune place à l’interprétation. Toute clause qui nécessiterait d’être interprétée sera frappée de nullité comme n’étant ni formelle ni limitée.
Quant au sens de l’arrêté du 14 mars 2020, celui choisi par le Tribunal de Commerce nous semble juste et répondre à l’esprit du texte qui avait sans doute pour finalité de préserver aux établissements visés par l’interdiction de recevoir du public un moyen d’atténuer leurs pertes.
Il est toutefois possible, voire probable que l’assureur persiste dans son argumentaire dans le procès qui s’annonce sur le fond du litige, quitte à saisir le juge administratif d’un recours direct en interprétation de l’arrêté du 14 mars 2020.
Notons toutefois les deux conditions de recevabilité d’un tel recours en interprétation, qui ont encore été précisées par un arrêt du Conseil d’état du 6 décembre 2019 n°416762 :
L’acte administratif dont le juge de l’interprétation est saisi doit faire l’objet d’un litige né et actuel pour le demandeur.
L’acte doit comporter une ambiguïté ou une obscurité qui justifie la saisine du juge de l’interprétation.
Or, dans le cas présent, le Tribunal de commerce s’il n’est pas spécialisé en matière administrative est, lorsqu’il est saisi en référé, juge de l’évidence.
Les termes de l’arrêté du 14 mars ne lui ont semblé ni ambigus, ni obscurs …

La solution dégagée par le Tribunal de Commerce en référé, qui reste certes une décision provisoire qui n’a pas l’autorité de la chose jugée au principal, semble toutefois bien augurer pour ce restaurateur.
Ce n’est toutefois que lorsque le juge du fond sera saisi qu’il dira définitivement le droit, toutes voies de recours épuisées.
Dans cette attente méfions-nous du tapage médiatique qui a pu se faire autour de cette ordonnance dont certains considèrent qu’elle ferait jurisprudence, en semblant ignorer que l’expression n’a pas la même acception ni portée en France que dans les systèmes anglo-saxons.

Prenons garde également à cet emballement médiatique ou politique qui voudrait transformer une justice rendue certes dans des circonstances exceptionnelles en justice d’exception ou pis en justice militante.
C’est avec sérieux, sérénité, en appliquant au cas par cas la règle de droit et la loi contractuelle à laquelle les parties ont accepté de se soumettre, que le feuilleton judiciaire auquel nous risquons d’assister durant les prochains mois ou les prochaines années se soldera justement…
Reste à chaque entreprise impactée à éplucher soigneusement ses conventions d’assurance et à se faire assister au mieux pour faire valoir ses intérêts.

https://www.leclubdesjuristes.com/wp-content/uploads/2020/05/Ordonnance-du-22-mai-2020_Rostang-AXA.pdf

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