Partenariats Public-Privé et Entreprises de l’économie sociale et solidaire : L’alternative du renforcement de l’échelon local.

Par Me Karime CHIDJOU et Me Léonid GNINAFON,

LKJ AVOCATS, Avocats au Barreau de Clermont-Ferrand

La crise sanitaire liée au COVID 19 a mis en lumière les insuffisances des régulations par le seul jeu du marché et les limites que peut rencontrer une économie globalisée à satisfaire l’intérêt général et garantir efficacement un égal accès aux ressources les plus vitales, y compris dans les pays dits développés.
Il semble qu’une forme de consensus se soit récemment dégagé quant au constat des carences et de l’irrationalité de nos systèmes de production qui ont abouti, face à la pandémie, à la déroute de secteurs dits stratégiques qui n’ont pas su être protégés par l’état qui en était le premier comptable.
Dans le même temps, une partie de la population et nos gouvernants ont pu apprécier à leur juste mesure les vertus de l’initiative locale et citoyenne : au travers du formidable relais que représentent celles des collectivités qui ont su se mobiliser dans l’adaptation des politiques publiques aux spécificités des territoires, au travers des incontournables relais de solidarité portés par le monde associatif, au travers de l’opportunité économique écologique et sociale qu’offrent les circuits courts de consommation portés par le monde coopératif.

Une étrange contradiction existe toutefois entre une aspiration renouvelée aux grandes libertés individuelles ou collectives, citoyennes et l’appétence à une plus grande intervention de la puissance publique au nom de l’intérêt général notamment dans le secteur économique.

Comment définir au plus juste cet intérêt général qui ne peut être résumé à la somme ou même à la synthèse d’intérêts privés souvent antagonistes ?
Quelle latitude laisser à la liberté, à l’initiative et à la responsabilité qu’elle soit dite privée ou même citoyenne dans un système où l’on considèrerait que toute entreprise qui, se développant au-delà d’un certain seuil de salariés ou son objet devenant stratégique au gré des besoins, serait d’intérêt général et aurait subitement vocation à entrer dans la sphère d’un interventionnisme étatique ?

Les débats de ces dernières semaines sur les sites de l’entreprise LUXFER à Gerzat (63) illustrent très justement ces dilemmes.
Concernant LUXFER, des voix se sont élévées dans la région Auvergne Rhône Alpes pour plaider « l’exigence de réquisitionner cette entreprise pour répondre à l’urgence de fabriquer en Europe des bouteilles d’oxygène médical »(1).
D’autres interventions allaient dans le même sens mais encore un peu plus loin : pour elles, peu importe, de savoir si la demande serait aussi soutenue à court ou moyen terme, après la levée des mesures de confinement en cours depuis le 17 mars 2020, les capacités de production devaient être rétablies et le site pérénisé.
Rappelons toutefois que s’agissant de LUXFER l’usine de Gerzat a été rachetée en 2001 au groupe français Péchiney par cette entité britannique et fermée en 2019 pour des raisons effectivement discutables.
Malgré la fin de non-recevoir opposée à la nationalisation de cette fabrique de bouteille d’oxygène2, solution souvent avancée en pareille circonstance et qui suscite des débats récurrents, il semble que le ministre de l’économie n’exclut pas la nationalisation d’entreprises dans certaines situations : « Mardi 17 mars, Bruno Le Maire, déclarait qu’il était prêt à utiliser “sans aucune hésitation tous les instruments à (…) disposition” pour protéger les entreprises françaises qui seraient déstabilisées par les violentes turbulences boursières : “Cela passe par des recapitalisations, des prises de participation ou même des nationalisations si nécessaire”(2). 

Quid cependant de la continuité de ces protections lorsque l’on subodore que la raison « dite d’état » qui peut varier au gré des alternances idéologiques ne s’embarrasse guère de l’échelon microscopéconomique ?
Les vagues de nationalisation se sont souvent soldées par des retours en arrière et des reprivatisations souvent douloureuses, pour les salariés, outre le reproche fait à l’état de la mutualisation des pertes suivi de la privatisation des profits.
Récemment, elles se sont limitées à être des relais ou des moyens de pressions en vue de la cession du rachat d’entités françaises à moindre dommage.

3 – Idem

On le constate l’état n’a qu’une appétence limitée à prendre des participations dans des entreprises. En 2018 son portefeuille boursier s’élevait à 77,5 milliards d’euros 2018. S’il a injecté près depuis 2012 près de 240 milliards dans TPE les PME et les entreprises de taille intermédiaire, c’est surtout par la prise de participations minoritaires.

Au-delà des priorités de santé publique ou économiques actuelles, c’est peut-être plus un recours massif aux partenariats public et privé que le biais des nationalisations qui apportera un souffle nouveau à la relocalisation durable d’activités dans nos contrées et à la protection de secteurs dits indispensables à nos territoires.

Il est question aujourd’hui que les collectivités publiques locales investissent plus activement un plus grand nombre de domaines d’activités notamment par des prises de participation au capital.

C’est sans doute le moyen d’adapter et de pérenniser des stratégies économiques au plus près des besoins locaux :

Les moyens juridiques existent pour les coopérations, les partenariats, les prises de participation des collectivités locales dans les activités stratégiques de leurs territoires.

Le reproche qui est toutefois également fait à ce type de partenariat et de prises de participation est celui de la mutualisation des investissements ou des pertes et de la privatisation des profits à terme.

Sauf lorsque par privé on entend non des entreprises commerciales dont l’objet, nonobstant la modification de l’article 1833 du code civil, reste la réalisation de profits mais des structures qui prônent l’initiative citoyenne au service de la démocratie économique sociale et écologique.

Les acteurs de l’économie sociale et solidaire, qui sont de longue date impliqués sous des formes diverses dont certaines coopératives très anciennes et usent déjà de ces moyens juridiques ne sont t-ils finalement pas les véritables partenaires de la puissance publique dans les temps difficiles qui s’ouvrent ; et ne devraient t-ils pas être structurés en grandes filières, de la production à la distribution des biens et des services essentiels, pour devenir les fers de lance d’une réorientation économique ?

Structures Juridiques de Gestion d’Activités ou d’Actions d’Intérêt Collectif, Public ou social


Types

Caractéristiques

Groupement de Coopération Sociale ou Médico-sociale (GCSMS) Groupement d’Intérêt Public (GIP) Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC)
Textes juridiques de référence Loi du 2 janvier 2020 (Art. L.312-7 CASF). Loi 15 juil. 1982 ; Loi 17 mai 2011 modifiée par loi du 20 avril 2016 ; décret n°2012-91 du 26 janvier 2012 sur les modalités d’organisation et de fonctionnement des G.I.P certains GIP restent régis par des textes spécifiques. Loi du 10/09/1947 ; Loi 2001-624 du 17 juillet 2001.
Généralités – Outil de coopération à but non lucratif à statut public ou privé (selon la décision prise par les membres) mis en œuvre par les Etablissements sociaux, médico-sociaux (ESSMS) voire sanitaires pour gérer en commun une partie ou toutes leurs activités…
– Cette coopération vise à favoriser la coordination et la complémentarité des prises en charges, des accompagnements et la garantie de leur continuité,
– Il permet des interventions communes de professionnels ou l’exercice direct de missions et prestations habituellement exercées par les ESSMS.

– Outil de coopération entre secteurs public et privé pour une collaboration autour d’un projet à but non lucratif, des activités ou des actions dans l’intérêt public territorial local (santé, action sociale, environnement…) voire pour la gestion des équipements,
– Cette coopération tend à favoriser la mise en commun de moyens nécessaires à l’exercice pour la mise œuvre de missions d’intérêt général,
– La coopération avec les collectivités territoriales permet de pérenniser ou de développer une action d’intérêt collectif ou social.

– Société ayant pour objectif la production et la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale (loi 10/09/1947),
– Société coopérative permettant à une association déclarée, des associés, notamment d’exercer tout type d’activité destiné à rendre des services aux organisations ou aux individus, avec un ancrage sur un territoire géographique, ou au sein d’une communauté professionnelle ou encore dédiée à un public spécifique,
– Elle se constitue sous forme de société commerciale, une SARL, une SA en précisant obligatoirement dans l’intitulé social le terme « coopérative ». Elle est soumise aux impératifs de bonne gestion, d’innovation…
Constitution

Il est constitué entre 2 ou plusieurs membres (professionnels, ESSMS, ou Etablissement de santé) avec ou sans capital au moyen qui rédigent une convention constitutive transmise au Préfet du département pour approbation et publication au Recueil des actes administratifs de la préfecture.

Par une convention constitutive entre les partenaires et une approbation de l’autorité administrative compétente (décret n°2012-91 du 26 janvier 2012).

Pour se constituer une Scic doit obligatoirement associer :
des salariés (ou en leur absence des producteurs agriculteurs, artisans…)
des bénéficiaires (clients, fournisseurs bénévoles, collectifs de toute nature…)
– un troisième type d’associé selon les ambitions de l’entreprise (entreprise privée, financeurs, associations…)
N.B : Les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics territoriaux peuvent devenir associés et détenir jusqu’à 50% du capital.
Nature Juridique Personne morale de droit privé ou de droit public. Ce choix de statut est laissé libre aux membres qui doivent mesurer toutes les conséquences (comptable, fiscale, situation juridique des personnels…). Personne morale de droit public à compter de la publication au J.O. de l’arrêté d’approbation par l’autorité administrative compétente. Personne morale de droit privé.
Organisation

L’Assemblée Générale est composée de l’ensemble des membres. Sauf mention contraire dans la convention constitutive, la présidence est assurée par l’administrateur du groupement.
Il est administré par un administrateur élu en son sein par l’Assemblée Générale parmi les personnes physiques ou les représentants des personnes morales, membres du groupement. Son mandat est d’une durée de 3 ans renouvelable.
Le personnel du GCSMS peut être mis à disposition par les membres du groupement ou être salarié du groupement.

Comme les associations, le GIP offre à ses membres une liberté de définition des modalités de fonctionnement et de gouvernance.
Il est administré par un Conseil d’administration. La convention constitutive doit prévoir le régime comptable de droit public ou droit privé (art. 99, L. 17 mai 2011).
Le GIP peut admettre de nouveaux membres après sa constitution.
Le régime applicable aux personnels dépend de la nature publique ou privée de l’activité principale (Cf art. 61 Loi 20/04/2016).
La mise à disposition d’un fonctionnaire avec une possible dérogation au remboursement (Loi 20/04/2016 art. 33).
Coopérative : 1 personne = 1 voix en Assemblée Générale.
Les statuts déterminent :
– La valeur nominale de la part sociale ; le capital est constitué par le total de ces parts est variable,
– La mise en réserve des excédents à chaque clôture des comptes : au moins 57,5 % du résultat affecté aux réserves impartageables, ce taux pouvant être porté par chaque Assemblée Générale ou par les statuts à 100 % ; la part du résultat affecté aux réserves est déductible de l’impôt sur les sociétés (I.S.).
Une association ou une société peut se transformer en Scic et reste une personne morale en conservant ses règles d’organisation de droit privée (y compris sans changement de statut du personnel).
Fonctionnement La convention constitutive précise les objectifs, les missions, ainsi que les règles de fonctionnement de la structure.
Elle indique la répartition des tâches entre le groupement et ses membres ainsi que certaines mentions obligatoires : dénomination et siège du groupement, nature juridique, durée (qui peut être à durée indéterminée), règles d’adhésion, de retrait et d’exclusion des membres…
Après sa constitution, le GCSMS peut admettre de nouveaux membres. De même qu’en cours d’exécution de la convention, tout membre peut, sous certaines conditions, se retirer du groupement à l’expiration d’un exercice budgétaire.

La convention constitutive prévoit les missions, les objectifs et les règles de fonctionnement du GIP.
Elle indique les mentions obligatoires et facultatives ; les modalités de son approbation et de sa publication ; ainsi que ses instances ; le régime budgétaire et comptable…
Le Conseil d’Etat apporte des précisions concernant les exigences applicables en cas de modifications de la convention constitutive d’un GIP (CE, 12/10/2016, Société centrale d’achat des hospitalisations privée et publique, n° 389998).

Cette société peut prend la forme d’une société anonyme (SA), à responsabilité limitée (SARL), par actions simplifiées (SAS).
Les statuts sociaux obéissent au type de société retenu (SA, SARL, SAS) et prévoient les règles applicables au fonctionnement…

Régime fiscal Chacun des membres du GCSMS est personnellement tenu, pour la part des excédents correspondant à ses droits dans le groupement, soit à l’impôt sur les sociétés, soit à l’impôt sur le revenu. Chacun de leurs membres est passible personnellement, pour la part des excédents correspondant à ses droits dans le groupement, et sous déduction des contributions au fonctionnement qu’il verse au GIP, soit à l’impôt sur les sociétés, soit à l’impôt sur le revenu (Art. 238 bis K du CGI)

Soumise aux impôts commerciaux

Avantages – Il permet la mutualisation des moyens (locaux, véhicules, personnel…), la mise en commun de services (juridiques, comptables…) d’équipements (restauration, blanchisserie…),
– Il est censé permettre aux acteurs du secteur social et médico-social une meilleure adaptation à l’évolution des besoins,
– Il permet de rompre l’isolement de certaines structures ou professionnels, d’où : – la réalisation d’économie d’échelles, – l’amélioration de la qualité des prestations pour une prise en charge globale.

– Leur essor n’a cessé depuis leur création en 1982 et leur succès dans plusieurs domaines (santé, environnement, justice, action sociale…)
– Forme de partenariat public et privé permettant de dégager les moyens nécessaires à investir dans des missions d’intérêt général ou d’utilité sociale,
– Propre à l’innovation et participe au développement du territorial local.

– La Scic peut convenir à tout type d’activité,
– Elle participe à la pérennité de l’activité ou l’action d’utilité sociale et donc au développement territorial,
– Elle est soumise aux impératifs de bonne gestion des sociétés et à une procédure de révision quinquennale afin d’analyser les rapports annuels de gestion notamment, et faire évoluer le projet coopératif… – Son originalité est de pouvoir affecter 57,5 % voire 100 % du résultat à des réserves impartageables et de les réinjecter dans le développement des activités.
Inconvénients

Il ne doit pas être conçu uniquement dans l’objectif de réaliser des économies d’échelles lesquelles peuvent être différées pour plusieurs raisons.

Il existe un statut législatif des GIP auquel les conventions constitutives doivent être conformes en respectant les exigences légales…
Certains GIP restent régis par des textes spécifiques. Ce qui peut entraîner une multitude de régimes législatifs et réglementaires difficiles à cerner.
Pour se constituer en Scic, il faut obligatoirement 3 types d’associés : – des salariés/artisans/agriculteurs, – des bénéficiaires, – des personnes morales (entreprise, collectivités et/ou associations…)
Ne permet pas toujours de préserver les intérêts des personnes et prenant part au projet.

1 – Le député du Puy-de-Dôme André CHASSAIGNE dans un communiqué du 02 avril 2020 écrit : LUXFER : L’ETAT DOIT ASSUMER SES RESPONSABILITES, téléchargé du site de cet acteur le 23 avril 2020. Voir Le Monde, Mobilisation autour du seul producteur français de bouteilles d’oxygène, fermé depuis 2019. Face à la crise sanitaire provoquée par le coronavirus, des députés et des élus locaux réclament la réouverture et la nationalisation de l’usine Luxfer de Gerzat, dans le Puy-de-Dôme, par Martine Valo Publié le 02 avril 2020 ; et aussi, Le monde « Victime d’une stratégie financière », Luxfer, dernier producteur français de bouteilles d’oxygène à usage médical, tente de revivre », par Raphaëlle Rérolle, Publié le 18 avril 2020. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/18/coronavirus-luxfer-une-lutte-dans-l-air-du-temps_6036999_3234.html

2 –  Marianne, Coronavirus : Bruno Le Maire exclut de nationaliser le fabriquant de bouteilles d’oxygène Luxfer, par Louis Nadau, Publié le 03/04/2020 : « Ils ne manquent pas d’air… du moins pour l’instant. Comme le rapporte La Montagne ce jeudi 2 avril, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a opposé une fin de non-recevoir à la nationalisation de l’usine Luxfer de Gerzat, dans le Puy-de-Dôme, qui fabriquait jusqu’à fin 2019 des bouteilles d’oxygène, et dont les anciens salariés sont prêts à reprendre le travail ».

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