La prise en charge des pertes d’exploitations des entreprises par les assureurs en période de pandémie : un débat qui touche aux fondements des mécanismes de l’assurance privée.

Par Léonid GNINAFON, Avocat au barreau de Clermont-Ferrand, LKJ AVOCATS

L’autorité de contrôle prudentiel est intervenue le 21 avril 2020 dans le débat que suscitait la place que devaient prendre les compagnies d’assurances dans le soutien aux entreprises victimes collatérales de la crise sanitaire et des mesures de confinement décidées par le gouvernement.

En effet alors que les compagnies d’assurances proposent d’abonder le fonds de solidarité dédié d’un montant d’environ 500 millions d’euros, outre 2,5 milliards d’euros de mesures de soutien diverses, plusieurs voix se sont élevées afin de pointer l’insuffisance à leur sens de l’engagement des assureurs alors que les pertes d’exploitations des entreprises devraient se chiffrer en dizaine de milliards d’euros.

L’une des raisons souvent évoquées était, outre la nécessité d’afficher une solidarité à hauteur de leur poids financier et les bénéfices réalisés par-ailleurs, la baisse de la sinistralité dans d’autres secteurs de l’assurance qui dixit certains devrait permettre aux assureurs de mobiliser des ressources supplémentaires pour aider les entreprises à faire face à cette crise exceptionnelle.

Le Président de la République indiquait d’ailleurs qu’il veillerait à ce que les compagnies d’assurances prennent leurs responsabilités dans ces moments particuliers. Le Ministre des comptes publiques indiquait plus précisément que les assurances devaient participer à la reconstruction du pays même si ce n’était pas prévu dans les contrats.

L’autorité de contrôle prudentiel a toutefois tenu à émettre un communiqué sans nul doute destiné à freiner des velléités qui semblaient ignorer le cadre particulier du mécanisme de l’assurance de l’assurance privée.

La position de principe de l’autorité de contrôle prudentielle

Elle indique ainsi « que les moyens financiers dont les assureurs disposent pour tenir l’ensemble des engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de leurs assurés, et contribuer ainsi à amortir le choc économique provoqué par la pandémie ne peuvent pas, sauf à les mettre en risque, être utilisés pour couvrir des événements qui sont explicitement exclus de leurs contrats. En outre, une garantie portant sur les pertes d’exploitation liées à une pandémie ne serait généralisable à un prix raisonnable que dans le cadre d’un régime obligatoire garanti par l’État ».

Rappelons que l’autorité de contrôle prudentiel a entre autres pour mission le contrôle des entreprises d’assurances qui opèrent sur le territoire français.

Ce contrôle, qui est en réalité celui de de l’état, s’exerce selon les dispositions de l’article L310-1 du Code des assurances « dans l’intérêt des assurés, souscripteurs et bénéficiaires de contrats d’assurance et de capitalisation ».

Cette autorité ne pouvait donc manquer de souligner indirectement que les mécanismes mis en œuvre par l’assurance privée des risques n’ont pas les mêmes ressorts que ceux de la solidarité nationale ;

Si l’assurance remplit une fonction utile socialement à la nation en ce qu’elle concourt à la sécurité juridique et/ou matérielle des personnes physiques ou morales privées, voire parfois à celle de certaines personnes publiques, elle repose sur une base essentiellement privée fondée sur la volonté contractuelle de ses acteurs.

Un écosystème fondé sur l’équilibre des engagements réciproque des parties

C’est ainsi que l’écosystème de l’assurance se nourrit d’équilibres plus fragiles que l’on suppose couramment et ne devrait pas s’affranchir du strict respect de la commune intention initiale des parties au contrat d’assurance qui est le socle sur lequel les deux piliers du mécanisme de l’assurance reposent.

D’une part le contrat d’assurance est la relation qui s’établit entre un souscripteur qui est en général l’assuré et un assureur qui, moyennant le versement d’une prime, promet de s’acquitter à ce souscripteur une certaine prestation en cas de réalisation d’un évènement particulier qui est un évènement dommageable.

D’autre part, l’opération d’assurance qui regroupe un grand nombre d’assurés dans une mutualité liée à un même assureur par le contrat d’assurance, ce qui permet d’indemniser ceux qui auront subi un sinistre grâce à la masse de primes collectés auprès de tous.

Mais il ne faudrait pas croire que le contrat d’assurance est à l’image d’une loterie où d’un casino dans lequel l’assureur serait la banque qui gagnerait quasiment à tous les coups dès lors que le sinistre prévu au contrat ne se réalisera en principe pas pour certains assurés.

Les primes payées par les assurés ne le sont jamais à perte : elles ont toujours une contrepartie qui est la garantie qui leur est offerte par leur assureur, la sécurité de savoir que si un évènement dommageable survenait leur patrimoine n‘en serait pas affecté.

Cette garantie de l’assureur n’a rien d’aléatoire même si le contrat d’assurance est qualifié d’aléatoire ; elle est permanente, car l’assureur doit toujours être en mesure de d’intervenir lorsqu’un assuré subit un préjudice prévu par le contrat, ce quel que soit le nombre de sinistres survenus par-ailleurs.

Un équilibre complexe fondé sur la statistique, l’homogénéisation des risques et une gestion rationalisée des contrats

Ce système de mutualisation des risques ne peut fonctionner à faible coût pour les assurés que si la fréquence des sinistres est suffisamment basse, soit qu’ils ne concernent chaque année qu’un faible nombre d’assurés comparativement à la masse, soit que leur probabilité de survenance dans le temps soit très exceptionnelle lorsqu’ils sont susceptibles de toucher un très grand nombre d’assurés.

C’est l’exemple d’une part de l’assurance automobile où la sinistralité est récurrente mais où le nombre de sinistrés sera relativement faible et d’autre part de l’assurance des catastrophes naturelles qui touchera en principe un très grand nombre d’assurés mais dont la fréquence de survenance est en principe très faible.

Notons d’ailleurs que les marges de manœuvre ne sont pas phénoménales en matière d’assurance auto où selon la FFA 2/3 des primes collectées sont affectées à l’indemnisation des sinistres.

L’assureur est en tous les cas, tenu de constituer, sous la surveillance de l’autorité de contrôle, des provisions dites techniques qui garantissent sa solvabilité et le fait qu’il a toujours à sa disposition les sommes nécessaires pour faire face.

Le montant de la prime payé par les assurés doit donc permettre à l’assureur de pouvoir constituer chaque année les provisions suffisantes à l’indemnisation des sinistres survenus sur le même exercice.

Le ratio primes encaissées/sinistres doit donc être toujours favorable.

Le calcul des taux de primes nécessaires est effectué par des actuaires grâce à des projections statistiques complexes de la sinistralité qui sont censés gommer tout aléa quant à la capacité de l’assureur à garantir les risques qu’il s’engage à prendre en charge.

C’est la raison qui explique d’une part que l’assureur ne peut assurer tous les risques dans un même contrat d’assurance et que d’autre part, même lorsqu’un assureur garantit une multitude de risques différents il n’y a pas forcément une possibilité de compensation entre baisse de la sinistralité d’un secteur déterminé et capacité à assumer la hausse de la sinistralité d’un autre secteur.

L’assureur ne pourra généralement prendre en charge que des risques relativement homogènes qui se rapprochent de ses projections mathématiques.

Les autres risques et notamment les risques aggravés ne seront pas assurés ou le seront moyennant un taux de prime sensiblement plus élevé.

La loi oblige d’ailleurs les assureurs à une gestion différenciée des contrats d’assurances, selon leurs caractéristiques propres.

Les compagnies d’assurances sont soumises à un principe de spécialisation : elles ne peuvent en principe opérer en même temps en assurance-vie et en assurance non vie car les modèles sur lesquelles sont basées ces deux types d’assurances sont radicalement différents.

Elles sont également soumises à un principe de spécialité et d’agrément par branches, ce qui veut dire qu’elles ne peuvent exercer que dans les branches d’assurances pour lesquelles elles ont reçu un agrément, l’agrément étant évidemment délivré par branche, sous condition de la capacité de l’entreprise à garantir sa solvabilité.

Une sélection contractuelle de principe des risques

Dans la branche d’assurance pour laquelle il a reçu un agrément, l’assureur va librement sélectionner les risques qu’il entend assurer dans ses contrats d’assurance.

La loi l’oblige toutefois parfois à assurer certains risques : Ainsi en est t-il des catastrophes naturelles Ainsi en vertu de l’article L125-1 du Code des assurances : Les contrats d’assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l’Etat et garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l’assuré contre les effets des catastrophes naturelles, dont ceux des affaissements de terrain dus à des cavités souterraines et à des marnières sur les biens faisant l’objet de tels contrats.

En outre, si l’assuré est couvert contre les pertes d’exploitation, cette garantie est étendue aux effets des catastrophes naturelles, dans les conditions prévues au contrat correspondant.

L’article L122-7 du code des assurances organise une obligation similaire s’agissant des dommages aux biens causés par les effets du vent dus aux tempêtes, ouragans cyclones et l’article L126-2 s’agissant des dommages causés par des attentats ou des actes de terrorisme.

De même lorsqu’il assure un risque, l’assureur va pouvoir encore affiner sa sélection en excluant un certain nombre de circonstances de la garantie qu’il apporte.

La loi définit d’ailleurs certaines circonstances qui ne peuvent être garanties par un contrat d’assurance.

Il existe donc des exclusions du risques légales.

Certaines sont impératives et l’assureur ne peut en aucun cas y déroger. L’exclusion légale impérative principale est celle de la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré édictée par l’article L113-1 du Code des assurances qui prévoit la possibilité pour l’assureur de stipuler des exclusions.

Cette exclusion est bien évidemment justifiée par le fait que la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré fait disparaître l’aléa qui est l’une des conditions essentielles du contrat.

D’autres exclusions légales sont simplement supplétives de volonté ; l’assureur peut y déroger et décider d’assurer quand même, ce qui bien évidemment est rarissime et limité à des situations très spécifiques.

Il s’agit notamment de l’article L121-8 du Code des Assurances qui prévoit que « L’assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires. ». 

De même, les dommages causés par le vice propre de la chose assuré n’est pas pris en charge par l’assureur en vertu de l’article L121-7 du code des assurances, sauf stipulation contraire.

A contrario, la loi interdit de stipuler certaines exclusions dans les contrats d’assurances. C’est bien évidemment le cas lorsque la loi met impérativement un risque à la charge de l’assureur : ainsi des catastrophes naturelles dans les conditions prévues par l’article L125-1 du Code des assurances ; ainsi également des dommages prévus par l’article L121-2 du Code des assurances et causés par les personnes dont l’assuré est civilement responsable quelque soit la nature, même intentionnelle, et la gravité de leurs fautes.

Pour tous les autres types exclusions la liberté contractuelle des parties est pleine et entière sous réserves des règles protégeant le consentement éclairé de l’assuré et l’existence d’une véritable contrepartie dans la convention.

La loi du contrat qui est dès lors supposée être la loi des parties devrait donc régler l’ensemble des circonstances mêmes exceptionnelles qui surviennent postérieurement à sa conclusion.

La stricte application des mécanismes contractuels, y compris en période exceptionnelle, peut aboutir à une juste indemnisation de certains assurés lésés en termes de pertes d’exploitations par la pandémie du covid 19.

A cet égard la formule de l’Autorité de contrôle prudentiel selon laquelle « une garantie portant sur les pertes d’exploitation liées à une pandémie ne serait généralisable à un prix raisonnable que dans le cadre d’un régime obligatoire garanti par l’État », nous semble devoir être nuancée, à tout le moins être discutée. De même les affirmations de certains assureurs selon lequel le risque pandémie serait inassurable.

Il existe bien quelques rares cas de contrats d’assurance qui assurent les pertes d’exploitations liés au risque pandémie, soit qu’elles proposent de souscrire la garantie au titre d’une extension, soit qu’elles ne l’excluent pas expressément de la garantie perte d’exploitations classique.

Les garanties pertes d’exploitation sont toutefois le plus souvent des garanties dites consécutives à un dommage à l’outil de production de l’entreprise.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la déclaration d’un « état de catastrophe naturel » au titre de cette pandémie, s’il est techniquement possible serait de peu de secours à la grande majorité des entreprises, puisque l’indemnisation n’interviendrait que dans le cadre des garanties souscrites dans le contrat d’assurance.

Il existe cependant des contrats qui garantissent les pertes d’exploitations strictement liées à une fermeture de l’entreprise sans dommages à ses outils de productions, notamment fermetures administratives de l’entreprise.

La plupart de ces contrats excluent toutefois le risque lié aux « pandémies ».

C’est ici pourtant que peut résider le salut de certaines entreprises et l’espoir de se voir indemniser de leurs pertes d’exploitations :

D’une part dans un contrat il est toujours possible d’en contester les termes dès lors qu’ils ne sont pas clairs et notamment contester l’application d’une clause d’exclusion conventionnelle.

Ainsi en application des articles L112-4 et L113-1 du Code des Assurances la clause d’exclusion ne peut recevoir application que dans la mesure où elle figure dans le contrat en caractères très apparents et est formelle et limité.

Le caractère formel de la clause implique que l’assuré doit pouvoir avoir à première lecture compris qu’il était en présence d’une clause d’exclusion ; son caractère limité implique que l’assuré doit avoir pu appréhender clairement les contours de l’exclusion et donc celle de la garantie et qui ne doit pas avoir été conventionnellement vidée de sa substance.

Toute d’exclusion clause rédigée de manière trop large trop imprécise, formulée en termes généraux ou qui nécessite une interprétation sera frappée de nullité.

La jurisprudence peut se montrer extrêmement sévère en l’occurrence ayant par exemple jugé dans le prolongement de la position actuelle de la Cour de Cassation que « la clause d’exclusion visant les dommages résultant d’une méconnaissance intentionnelle, délibérée ou inexcusable des règles de l’art et normes techniques applicables dans le secteur d’activité de l’assuré ne permettait pas à celui-ci de déterminer avec précision l’étendue de l’exclusion en l’absence de définition contractuelle de ces règles et normes et du caractère volontaire ou inexcusable de leur inobservation »

Cassation 3ème Civ 19 septembre 2019 n°18-19616

D’autre part l’assureur est un professionnel qui est tenu à l’égard de ses clients d’une obligation d’information qui est primordiale, car elle lui permet de contracter en pleine connaissance de cause, ainsi que d’un devoir de conseil. Dans ce cadre, l’assureur ou son intermédiaire commet faute lorsqu’il ne vérifie pas et ne met pas en garde lorsque que les garanties souscrites ne sont pas en adéquation avec les besoins du client et peut être amené à réparer le préjudice causé au titre d’une perte de chance.

Mais on entre ici dans le cadre de l’analyse individualisée et précise des dispositions de chaque contrat et des conditions de conclusions de chaque convention.

Pour le reste et pour l’avenir on ne peut qu’imaginer et souhaiter la création d’une garantie spécifique liée à la survenue de prochaines pandémies. Le modèle de l’assurance catastrophe naturelles est sans doute transposable, même si les assureurs disent avoir moins de recul s’agissant des données statistiques liées au risque pandémie.

N’oublions toutefois pas que le risque pandémie est déjà intégré par les assureurs de prévoyance pour la définition du capital de solvabilité requis. Ainsi même si l’assurance pertes d’exploitation fonctionne sur d’autres principes les outils et notamment les modèles épidémiologiques existent déjà.

La construction d’une telle assurance est encore une question de choix de modèle économique, et donc politique, soit que l’on veuille qu’un tel modèle repose sur la garantie financière de l’état, qu’il soit mixte ou qu’il ne soit géré que par l’initiative privée.

La seule constante est que la constitution d’une telle garantie si elle doit être complète prendra un temps extrêmement long, nécessitera une gestion précautionneuse des provisions constituées et aura bien entendu un coût.

Pour notre part, loin de porter une quelconque jugement de valeur et de nous engager dans un débat sur les profits réalisés par les compagnies d’assurances, nous rappellerons que chaque entreprise d’assurance a sa vocation et ses valeurs propres ; que la loi et le marché de l’assurance française garantissent à l’assuré un libre choix entre Sociétés anonymes d’assurances qui sont des entreprises commerciales dont l’objet est de dégager des bénéfices et des Sociétés d’assurances mutuelles qui sont des sociétés civiles à but non lucratif dont l’objet est de proposer des produits d’assurances à leur sociétaires.

Chaque système a sans doute ses avantages et ses inconvénients.

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