Le plafonnement des indemnités de licenciement

Publié le 15 novembre 2019

Comme suite à la demande des Conseils de Prud’hommes de Louviers et de Toulouse, la Cour de Cassation a rendu un avis le 17 juillet 2019 confirmant la compatibilité de l’article L. 1235-3 du Code du Travail relatif au plafonnement des indemnités de licenciement aux normes européennes et internationales, venant ainsi clore une série de recours de contrôle de légalité, de conventionnalité et de constitutionnalité engagée à la suite de l’adoption des mesures législatives et réglementaires instaurant ce plafonnement.

Le 15 septembre 2017, le législateur votait la loi n°2017-1340 autorisant le gouvernement à adopter des ordonnances visant notamment à instaurer un barème d’indemnistation du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Les dites ordonnances adoptées le 22 septembre 2017 furent ensuite ratifiées par la loi du 29 mars 2018 et codifiées au sein de l’article L.1235-3 du Code du Travail.

Ces ordonnances dites « ordonnances loi travail » constituent une réforme majeure du Code du travail.

Elles s’inscrivent pleinement dans la philosophie de la loi travail du 17 août 2015 en confirmant et amplifiant la remise en cause de socles jusqu’alors intangibles autour desquels s’organisait la relation de travail dans l’entreprise.

Elles redéfinissent non moins de quatre domaines essentiels du droit du travail.

Le droit de la négociation collective tout d’abord : elles confirment l’inversion de la hierarchie des normes sociales en renforçant la primauté des accords d’entreprise sur les accords de branche.

La facilitation, ensuite, de la signature d’accords d’entreprises dans les PME de moins de 50 salariés, y compris pour celles n’ayant pas de représentation syndicale en leur sein.

Elles modifient également l’organisation sociale au sein de l’entreprise en fusionnant les différentes instances représentatives du travail (IRT) – délégués du personnel (DP), comité d’entreprise (CE), comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – au sein d’une instance unique de représentation du personnel le CSE.

Enfin, concernant les conditions de rupture du travail, les ordonnances prévoient des conditions « assouplies » de rupture du contrat de travail, que ce soit par la relativisation de la motivation de la lettre de licenciement, la redéfinition du périmètre géographique (national et non plus international) d’appréciation des difficultés économiques des entreprises recourant à ce motif pour licencier ou encore par la possibilité pour l’entreprise de recourir à des ruptures conventionnelles collectives en dehors de tout motif économique, sur la base de départs volontaires.

Mais la disposition certainement la plus impactante pour le salarié réside dans la mise en place d’un barème d’indemnisation, avec plancher et plafond, sur la base duquel seront appréciées par le juge prud’homal le montant des indemnités attribuées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Un premier contrôle (suite à leur ratification législative) de conformité de ces dispositions à la Constitution a ainsi été opéré par le Conseil Constitutionnel consécutivement à sa saisine par voie parlementaire.

Aux termes de leur saisine, les députés requérants soutenaient que ces dispositions s’avéraient contraires à la garantie des droits dès lors que le montant des plafonds d’indemnisation prévus était insuffisamment dissuasif et qu’il permettait en conséquence de licencier un salarié de manière injustifiée.

Ils soutenaient également qu’était méconnu la principe d’égalité devant la loi au regard du fait que le barème fixé ne prenait en compte que le critère de l’ancienneté dans l’entreprise à l’exclusion de tout autre critère d’âge, de sexe ou de qualification dans l’évaluation du préjudice subi par le salarié abusivement licencié.

Enfin, les parlementaires dénoncaient l’atteinte disproportionnée au droit à être indemnisé d’un préjudice (tel que garanti par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) du fait d’une indeminisation dérisoire ne correspondant pas à la gravité du préjudice subi ainsi que du cumul des indemnités dues par l’employeur pour irrégularité procédurale du licenciement et de celles pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dans la limite des plafonds fixés par le barème.

Sur le premier motif de saisine, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’y avait pas d’atteinte à la garantie des droits dès lors que l’encadrement proposé de l’indemnisation poursuivait un objectif d’intérêt général.

Et qu’en l’espèce, le renforcement de la prévisibilité des conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse que permettait la fixation d’une référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués participait de la poursuite d’un objectif d’intérêt général.

Qu’elle permettait de surcroît la réparation du préjudice par des montants maximaux fixés par la loi variant entre 1 et 21 mois de salaire brut, déterminés en fonction des moyennes constatées accordées par le juridictions en indemnisation des préjudices subis.

Ces éléments conduirent ainsi le Conseil constitutionnel à considérer qu’il n’y avait pas de « restrictions disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi » permettant de considerer qu’il y aurait en l’espèce une contravention à la garantie des droits.

Concernant le second motif de saisine, le Conseil constitutionnel a considéré tout d’abord que le critère d’ancienneté au sein de l’entreprise présentait un lien avec le préjudice subi par le salarié licencié.

Le Conseil ajoutait que le principe d’égalité n’imposait pas au législateur de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes et que dès lors, il n’était pas tenu de « fixer un barème prenant en compte l’ensemble des critères déterminant le préjudice subi par le salarié licencié ».

Qu’enfin, il appartenait au juge, au regard de son pouvoir d’appréciation et dans les limites fixés par ce barème, de prendre en compte tous les éléments (y compris donc ceux non visés par la loi) déterminant le préjudice subi, lorsqu’il fixait le montant de l’indemnité due par l’employeur.

Il en résultait ainsi, que pour le Conseil, la différence de traitement instituées par les dispositions contestées ne méconnaissaient pas le principe d’égalité devant la loi.

Enfin, sur le dernier motif de saisine, le Conseil constitutionnel considéra qu’il n’y avait pas d’atteinte disproportionnée au droit à être indemnisé d’un préjudice du fait d’une indemnisation dérisoire au regard de la réalité du préjudice subi dans la mesure où il ressort des travaux préparatoires que les montants maximaux ont été déterminés, conformément à la réalité des montants jusqu’alors alloués « en fonction des moyennes constatées des indemnisations accordées par les jurdictions ».

Le Conseil ayant reconnu la constitutionnalité des dispositions contestées, c’est leur non conformité au droit européen international qui sera à la base d’un nouveau recours – pour avis cette fois-ci – devant la Cour de Cassation.

En effet, préalablement à cette saisine pour avis, plusieurs Conseil de Prud’hommes, à l’instar des décisions rendues par celui de Troyes le 13 décembre 2018, avaient considéré que ces dispositions de plafonnement étaient contraires aux dits droits européenn et international.

La Cour de Cassation, réunie en formation plénière, devait donc se prononcer sur la conformité de ces dispositions à :

l’article 6§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH)

à l’article 24 de la Charte sociale européenne

à l’article 10 de la la Convention n°158 sur le Licenciement de l’Organisation internationale du Travail (OIT)

La Cour a d’abord écarté la non conformité à l’article 6§1 de la CEDH, garantissant au jusiticiable le droit à un procès équitable.

Elle a, en effet, considéré que les dispositions contestées n’entraient pas dans son champ d’application, ce dernier ne pouvant s’appliquer qu’aux dispositions d’ordre procédural à l’exclusion de celles matérielles d’un droit qui sont déterminées par la législation nationale (CEDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, n° 76943/11).

Concernant l’article 24 de la Charte sociale européenne garantissant l’exercice d’un droit à la protection en cas de licenciement, la Cour a également écarté son applicabilité directe , considérant que les dispositions de cet article, insuffisamment précis et inconditionnels, n’étaient pas de nature lui conférer « un effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ».

Enfin, concernant l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, d’applicabilité directe, qui garantit en cas de licenciement injustifié « le versement d’une indémnité adéquate ou toute autre forme de réparatio considérée comme appropriée », la Cour a considéré que le terme « adéquat » devait compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation, ainsi qu’il en était le cas dans les dispositions législatives soumises à avis.

Les recours opérés ayant tous abouti au constat de la conformité des dispositions relatives au plafonnement des indemnité de licenciement tant à la Constitution qu’aux droit européen et international, le barème d’indemnisation – tel qu’il ressort de la loi du 29 mars 2018, codifié par l’article L. 1235-3 du Code du Travail – est donc celui, dans notre droit positif, auquel doivent se conformer les juridictions prud’homales dans l’évaluation montant des préjudices qu’elles seront amené à déterminer en cas de licenciement dénuée de cause réelle et sérieuse.

Pour les entreprises de plus de 11 salariés, le barème s’applique comme suit :

Ancienneté du salarié dans l’entreprise (en années complètes) Indemnité minimale (en mois de salaire brut)
Indemnité maximale (en mois de salaire brut)
0 1 1
1 3 2
2 3 3
3 3 4
4 3 5
5 3 6
6 3 7
7 3 8
8 3 9
9 3 10
10 3 10,5
11 3 11
12 3 11,5
13 3 12
14 3 12,5
15 3 13
16 3 13,5
17 3 14
18 3 14,5
19 3 15
20 3 15,5
21 3 16
22 3 16,5
23 3 17
24 3 17,5
25 3 18
26 3 18,5
27 3 19
28 3 19,5
29 3 20
30 et au-delà 3 20

Tandis que pour les entrerprises de moins de 11 salariés le barème s’applique comme suit :

Ancienneté du salarié dans l’entreprise (en années complètes) Indemnité minimale (en mois de salaire)
0
1 0,5
2 0,5
3 1
4 1
5 1,5
6 1,5
7 2
8 2
9 2,5
10 2,5

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