Publié le 20 février 2017

QUELQUES DEVOIRS TROP SOUVENT OUBLIÉS D'UN BANQUIER ENVERS SON CLIENT

Par Léonid GNINAFON – Avocat au Barreau de Clermont-Ferrand – Cour d’Appel de RIOM

Une autre affaire traitée récemment par notre cabinet nous rappelle encore que le banquier a des obligations spécifiques envers son client, y compris lorsque celui-ci n’est pas un « grand compte ».

Les petites erreurs d’inattention ou négligences d’un conseiller peuvent coûter cher au client de l’établissement de crédit.

Il importe donc aux banquiers, sans pour autant s’immiscer dans la gestion par son client de ses comptes bancaires, d’y tenir l’œil et d’exercer un minima son devoir d’alerte, de mise en garde, et surtout d’être particulièrement diligent lorsqu’une opération anormale se présente sur le compte.

Cela est d’autant plus nécessaire quand le client s’est lui-même rendu compte de l’anomalie et a fait toutes démarches auprès de son banquier aux fins d’empêcher la survenance d’un préjudice.

Dans notre cas d’espèce, notre client qui exerce la profession de maçon, détenait un compte au solde relativement modeste auprès de la Banque Postale.

Il bénéficiait d’une autorisation de découvert, tout aussi modeste, d’un montant de 200 Euros.

Notre client avait vécu quelques mois avec une compagne dont il a pu ultérieurement malheureusement apprécier la malhonnêteté.

Le 28 juillet 2015, notre client se rendait compte que son compte bancaire avait été débité d’un montant de 3.000,00 Euros qui correspondait au paiement d’un chèque, le 27 juillet.

Notre client avait alors immédiatement examiné son chéquier, et s’était rendu compte que plusieurs formules de chèques lui avaient été dérobées.

Le jour même, notre client se rendait au commissariat pour déposer plainte, et se déplaçait physiquement à l’agence de son établissement bancaire afin de faire opposition au chèque.

Il avait une rencontre physique avec son conseiller qui notait bien entendu l’incident et lui délivrait ultérieurement une attestation de rencontre face à face.

Plusieurs mois s’écoulaient sans que la banque ne faisait quoi que ce soit s’agissant du préjudice de notre client, qui du fait du paiement du chèque volé s’était retrouvé à découvert de 2.566,33 Euros, découvert dont son cocontractant lui demandait de surcroît le règlement immédiat le faisant inscrire au Fichier des Incidents de Crédit aux Particuliers.

En désespoir de cause, notre client devait saisir le médiateur de la Banque Postale qui se rangeait malheureusement aux arguments de cette banque.

La Banque Postale faisait valoir d’une part que, la signature portée sur le chèque qu’elle avait payé été effectivement celle de notre client.

La banque faisait valoir d’autre part que l’opposition au paiement du chèque avait été tardive et n’était pas recevable puisque le chèque avait déjà payé lorsque le client s’était présenté à la banque pour émettre cette opposition.

Saisis de cette affaire nous devions immédiatement assigner la Banque Postale devant le Tribunal d’Instance de Clermont-Ferrand, estimant que la banque avait commis des fautes qui avaient directement généré ce préjudice de découvert pour notre client.

Nous faisions valoir d’une part que, notre client s’était rendu compte dès le lendemain du débit du chèque de son compte bancaire et avait immédiatement réagi en allant porter plainte et en allant le signaler à la Banque Postale ; celle-ci avait encore la possibilité nonobstant le paiement effectué, de se rapprocher de la banque présentatrice du chèque afin de faire bloquer la provision sur le compte de la voleuse présumée, soit l’ex compagne.

Nous avancions cet argument à juste titre, en considérant que les délais inter bancaires de paiement permettaient largement aux deux banquiers d’agir et d’empêcher la réalisation du dommage subi par notre client.
L’inertie de la Banque Postale, suite au signalement, constituait donc une faute lui ayant fait perdre toute chance de pouvoir stopper la fraude dont il était victime, et éviter le découvert en compte qui en est résulté.

D’autre part, nous reprochions à la banque d’avoir payé le chèque de 3.000,00 Euros alors que notre client n’avait pas le solde suffisant sur son compte pour l’honorer et ne bénéficiait que d’un découvert en compte de 200,00 Euros.

En l’absence de pratique courante entre les deux cocontractants tacites ou express tenant à l’augmentation de ce découvert autorisé, la banque aurait dû purement et simplement refuser d’honorer le chèque ou tout du moins, alerter notre client et l’interroger sur cette opération.

La banque se prévalait en réponse à notre assignation d’une jurisprudence de la Cour de Cassation qui, selon elle, considère qu’en acceptant de payer un chèque au-delà du découvert autorisé, la banque accorde implicitement une facilité de caisse au client.

Nous devions rétorquer à cette objection que cette jurisprudence, d’ailleurs fort discutable, ne saurait être invoquée dans une situation douteuse, alors que l’émission d’un chèque de 3.000,00 Euros n’est une opération courante sur le compte notre client, ni le découvert qui en découlait adapté à ses facultés de remboursement.

Dans une décision rendue le 22 novembre 2016, le Tribunal d’Instance de Clermont-Ferrand devait nous suivre dans notre argumentation.

Le Tribunal a ainsi retenu que l’article L131-73 du Code monétaire et financier dispose que, « le banquier tiré peut, après avoir informé par tous moyens appropriés mis à disposition par lui et le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante.

En l’espèce, il ressort des pièces produites au débat qu’à la date du paiement du chèque litigieux, le découvert autorisé de Monsieur X était limité à la somme de 200,00 Euros, et que celui-ci ne disposait pas de la provision suffisante pour honorer le chèque litigieux.

Or, en l’absence d’autorisation de découvert égal à ce montant, et en l’absence de pratique tacite courante entre les deux cocontractants, compte tenu de l’importance de la somme et des facultés de remboursement de Monsieur X, la banque aurait dû alerter son client pour l’informer de la situation, et en recueillir ses explications ainsi que ses éventuelles observations.

Au surplus, Monsieur X justifie qu’il a dès le lendemain du paiement du chèque par la banque, soit le 28 juillet 2015, aussitôt fait opposition auprès de sa banque en se déplaçant à l’agence.

Or, le chèque ayant été remis à l’encaissement le 27 juillet 2015 et Monsieur X ayant formé opposition dès le 28 juillet 2015, la Banque Postale ne prouve pas suffisamment qu’au regard des délais inter bancaires de rejet des chèques, qu’elle n’avait pas la possibilité de stopper le paiement du chèque à la banque du porteur.

Ainsi, il apparaît au vu de l’ensemble de ces éléments que la banque aurait dû avant de payer chèque litigieux, procéder aux vérifications minimales de rigueur.
 

En conséquence, la responsabilité de la banque est établie, et elle sera condamnée à réparer le préjudice qu’elle a causé à son client »

Dans notre cas, le Tribunal d’Instance de Clermont-Ferrand a condamné la banque à payer à Monsieur X la somme de 3.000,00 Euros, outre 700,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, sommes qui ont été compensées avec le solde débiteur du compte de Monsieur X d’un montant de 2.566,33 Euros.

Cette décision est devenue définitive le 23 janvier 2017.

Nous tenons en l’espèce à rappeler aux clients d’une banque l’importance d’agir avec diligence dès lors qu’ils se rendent compte d’une anomalie affectant leur compte bancaire qu’ils doivent surveiller régulièrement.

Nous les incitons à solliciter et à garder toutes preuves écrites du signalement fait à leur banquier, et ne pas se contenter d’un coup de fil ou d’une simple discussion avec leur conseiller, puisque se constituer une preuve écrite peut ultérieurement être déterminant en cas de survenance d’un litige.

De cette manière, dès lors que nous avons tous les éléments en main pour faire établir la responsabilité civile de la partie adverse et votre bon droit, nous vous conseillons de de ne jamais l’abdiquer quelle que soit la “puissance financière” de votre adversaire.