Publié le 02 novembre 2016
L’ACTION EN GARANTIE DES VICES CACHÉS EN MATIÈRE DE VENTE
Par Me Léonid GNINAFON
Avocat au barreau de Clermont-Ferrand
Cour d’Appel de RIOM
L’action en garantie des vices cachés se rencontre essentiellement dans les contrats de vente.
Elle peut cependant aussi concerner d’autres contrats tels que le contrat de bail ou le prêt à usage…
Elle est régie, en matière de vente, par les articles 1641 et suivants du code civil qui constituent le droit commun de l’action en garantie des vices cachés.
I – Le domaine de l’action en garantie des vices cachés.
L’action en garantie des vices cachés concerne les ventes de choses mobilières ou immobilières, neuves ou d’occasion.
Sont toutefois exclues du champ d’application des articles 1641 et suivants du code civil les ventes faites par autorité de justice, c’est à dire les ventes aux enchères.
Cette prohibition ne joue cependant qu’entre l’adjudicataire et l’adjudicateur.
Lorsqu’il y a eu ventes successives, rien n’interdit à l’adjudicataire d’actionner un vendeur antérieur voire le fabricant de la chose en garantie des vices cachés.
L’action de droit commun en garantie des vices cachés est également exclue pour les ventes qui font l’objet d’un régime particulier de garantie de l’acquéreur.
Ce sont par exemple les ventes d’immeubles à construire, les ventes d’animaux…
Par-ailleurs la garantie des vices cachés peut être écartée, par l’effet de la volonté des parties au contrat de vente.
La clause d’exclusion de garantie des vices cachés ne pourra toutefois pas être mise en œuvre lorsqu’il est démontré que le vendeur est de mauvaise foi et avait connaissance de l’existence du vice au moment de la vente.
De même la clause de non garantie ne pourra être stipulée par le vendeur professionnel au détriment d’un acquéreur profane.
II – La détermination des vices donnant lieu à la garantie.
L’article 1641 du code civil dispose que « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus. »
Ainsi pour que l’action en garantie des vices cachés puisse être mise en œuvre :
1- La chose vendue doit avoir un défaut :
Ce défaut peut être d’ordre matériel ou juridique…
Ce défaut peut affecter la chose principalement ou l’un de ses éléments accessoires ou d’équipement.
Le défaut visé par les textes correspond à une imperfection véritable, une anomalie inhérente à la chose.
La garantie des vices cachés ne peut donc être invoquée au seul motif que le bien acquis ne procure simplement pas à l’acquéreur l’utilité qu’il en attendait
Le vice de la chose ne peut être non plus retenu lorsque le défaut n’est que le résultat naturel d’une usure normale de la chose ou de son utilisation prolongée.
Ainsi le vice caché doit être un défaut qu’une chose même usagée ne devrait pas présenter.
De même, lorsque le défaut provient d’une mauvaise utilisation de la chose, la garantie des vices cachés ne peut être mise en œuvre.
C’est l’hypothèse du montage défectueux de la chose par l’acquéreur ou du non respect du mode d’emploi qui fait perdre le bénéfice de la garantie.
Le vice de la chose a ainsi pu être retenu en cas de fondations défectueuses, de présence de termites dans la charpente d’un immeuble, absence de vide sanitaire dans un immeuble duquel il a résulté une humidité anormale qui rend l’immeuble impropre à sa destination ; inconstructibilité d’un terrain ; caractère inondable ou instable d’un terrain …
En matière mobilière, le vice de la chose a pu être retenu en cas de corrosion du soubassement d’un véhicule, le défaut de conception d’un moteur.
2 – Le défaut doit être un défaut grave :
Il doit rendre la chose impropre à sa destination ou en diminuer tellement l’usage que l’acquéreur ne l’eût pas acquise en connaissance de cause ou en aurait donné un moindre prix.
Ainsi le défaut qui n’affecte pas l’usage de la chose ne peut pas conduire à la mise en œuvre de l’action en garantie des vices cachés.
C’est le cas par exemple lorsque le non raccordement d’un immeuble aux réseaux collectifs d’assainissement constitue une non-conformité aux règles d’urbanisme mais n’affecte pas l’usage qui peut être fait du bâtiment.
Le trouble à l’usage de la chose doit être un trouble important.
Des troubles insignifiants auxquels il serait simple de remédier ou qui n’affecteraient que l’agrément ou le confort d’un véhicule ne sauraient conduire à la mise en œuvre de la garantie des vices cachés.
Le degré de gravité du trouble s’apprécie à raison de la destination normale de la chose.
Ainsi en matière de vente de véhicules de collection la garantie des vices cachés a pu être rejetée au motif que le défaut invoqué n’était pas suffisant à rendre le véhicule impropre à l’usage auquel il était spécialement destiné et qui était des plus restreints.
« …attendu que l’arrêt relève que, selon l’article 23 de l’arrêté du 5 novembre 1984, relatif à l’immatriculation des véhicules de plus de 25 ans d’âge, autorisant ceux-ci à circuler sous couvert soit d’une carte grise normale soit d’une carte grise portant la mention » véhicule de collection « , cette dernière mention implique que le véhicule n’est autorisé à circuler que lors des rallyes ou autres manifestations où est requise la participation de véhicules anciens et, à titre temporaire et dans les mêmes conditions que les véhicules couverts par une carte grise normale, dans le département d’immatriculation et les départements limitrophes ; qu’après avoir souverainement retenu, sans modifier les termes du litige, que dans la commune intention des parties, la voiture était destinée au seul usage de collection et que M. X… avait modifié unilatéralement cette destination lors du changement d’immatriculation, la cour d’appel a estimé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que M. X… ne rapportait pas la preuve que les défauts dont il se plaignait rendaient le véhicule impropre à l’usage auquel il était spécialement destiné ; qu’elle a, par ces seuls motifs, et sans avoir à répondre à des conclusions que sa décision rendait inopérantes, légalement justifié sa décision ; »
Cassation 1ère Chambre Civile 24 novembre 1993 N° de pourvoi: 92-11085 et 92-11316
3 – Le défaut doit être un défaut caché :
Le vice caché est celui que l’acquéreur ignorait et ne pouvait déceler au moment de la vente.
L’article 1642 du code civil dispose en effet que le vendeur n’est pas tenu des vices apparents de la chose et dont l’acquéreur a pu se convaincre lui-même.
Le vices apparent est selon les auteurs « celui qui apparaît après une vérification élémentaire ».
Le régime varie cependant selon la capacité de l’acquéreur à déceler le vice ; selon qu’il soit professionnel ou non professionnel.
Pour l’acquéreur profane :
La jurisprudence considère qu’il doit réaliser simplement les examens et les vérifications aux quels procèderait un acquéreur d’une diligence moyenne, c’est-à-dire l’acquéreur moyen et sérieux.
La jurisprudence n’impose pas que l’acquéreur profane effectue des vérifications approfondies, ni qu’il se fasse accompagner d’une expert, même pour les achats de biens complexes.
Ainsi en matière de vente immobilière, les tribunaux ont pu rejeter l’argument du vendeur qui reprochait à l’acquéreur de pas s’être entouré d’avis d’hommes de l’art afin d’inspecter l’immeuble.
Cass Assemblée plénière 27 octobre 2006 n°05-18977
Cass 3 ème Civ 9 novembre 2011 n°10-21052.
La jurisprudence estime que dès lors que des compétences techniques particulières ou l’assistance d’un spécialiste sont nécessaires pour déceler le vice, il s’agit, pour le profane, d’un vice caché.
Par contre, lorsque le défaut était décelable moyennant un examen superficiel et des vérifications élémentaires, il n’y a pas de vice caché.
C’est le cas par exemple d’un défaut d’isolation phonique ou de l’extrême fragilité d’un plancher que l’acquéreur moyen est tout à fait apte à déceler.
Cour d’Appel de Paris 3 février 1987, D1987, IR 52
Pour l’acquéreur professionnel :
Ce type d’acquéreur n’est soumis à un régime plus strict que dans la mesure où sa profession autorise à présumer qu’il a les compétences techniques nécessaires pour déceler le vice.
La jurisprudence est donc d’une sévérité renforcée à chaque fois que l’acheteur exerce dans la même spécialité que celle du vendeur.
Cass Com 19 mars 2013 n°11-26566
C’est l’exemple du garagiste qui achète une automobile et qui a les qualités nécessaires pour déceler les vices du véhicule.
Ca n’est pas le cas, comme dans la jurisprudence citée précédemment, de la société de journaux qui achète deux rotatives d’impression.
L’acquéreur professionnel sera cependant autorisé à se prévaloir de la garantie des vices cachés dans deux cas :
- Le vice peut être considéré comme étant un vice indécelable c’est-à-dire qu’il n’était possible à l’acquéreur professionnel de déceler le vice de la chose au moment de la livraison.
C’est le cas par exemple lorsqu’il fallait démonter certaines pièces pour découvrir le vice ou lorsque seul un usage prolongé de la chose était de nature à le révéler. De même lorsqu’une expertise particulièrement qualifiée a été nécessaire pour le déceler.
- Le vendeur a commis un dol :
C’est le cas lorsque le vendeur connaissait le vice et l’a dissimulé à l’acquéreur même professionnel.
3 – Le défaut doit être un défaut antérieur à la vente :
La charge de la preuve du vice, de son caractère occulte ou de son antériorité repose bien entendu sur l’acquéreur qui invoque la garantie des vices cachés.
La jurisprudence se montre toutefois largement favorable à cet acquéreur en ayant parfois recours à des présomptions de fait et en déduisant même quelques fois l’antériorité du vice de l’importance du trouble généré.
C’est le cas par exemple lorsqu’un tribunal déduit de l’importance de l’infestation d’une maison par des termites, l’ancienneté de cette infestation et l’antériorité à la vente.
III – La mise en œuvre de l’action en garantie des vices cachés.
1 – Le titulaire et le destinataire de l’action
L’action en garantie des vices cachés se transmet avec la chose.
L’acquéreur de la chose peut donc agir aussi bien contre son vendeur que contre les vendeurs antérieurs de la chose ou même le fabricant de la chose.
De même le vendeur qui est actionné en garantie des vices cachés peut se retourner contre son propre vendeur.
Son recours ne sera cependant possible que s’il est de bonne foi c’est-à-dire s’il ignorait l’existence du vice au moment de la revente.
2 – Les délais de l’action en garantie
L’action en garantie des vices cachés doit être mise en œuvre dans le délai de deux années à compter de la découverte du vice.
La charge de la preuve du moment de la découverte du vice incombera cependant au vendeur qui se prévaut de la prescription de l’action.
S’agissant d’un fait juridique la preuve pourra être faite par tous moyens y compris par présomption.
Le plus souvent, c’est une expertise qui porte avec certitude à la connaissance de l’acquéreur la nature exacte et le degré de gravité du vice.
Les juges sont donc enclins à faire partir le délai de prescription à la date du dépôt du rapport d’expertise.
Le point de départ du délai peut être reporté ; notamment :
- Au jour où l’échec de la négociation est acquis, lorsqu’une tentative de règlement amiable a fait suite à la découverte du vice.
- Au jour de la demande principale en paiement du prix lorsque l’acquéreur entend opposer une demande reconventionnelle en garantie des vices cachés au vendeur qui n’a pas tout de suite demandé le prix de sa prestation et a ensuite formé une demande principale en paiement du prix.
- A compter de l’assignation qui lui est délivrée, lorsque l’acquéreur n’agit contre son vendeur que parce que lui-même a été attrait en garantie par le sous-acquéreur.
La prescription est interrompue par l’assignation en justice y compris une assignation en référé expertise.
La saisine d’une juridiction incompétente interrompt malgré tout la prescription.
3 – Le Tribunal compétent
Le Tribunal matériellement compétent sera selon la valeur du litige le Tribunal de Grande Instance (litiges dont l’intérêt est supérieur à 10000 €) ou le Tribunal d’Instance (intérêt inférieurs à 10000 €).
S’agissant de la compétence territoriale, le demandeur aura l’option entre le Tribunal dans le ressort duquel réside le défendeur, c’est-à-dire le vendeur et le Tribunal dans le ressort duquel la livraison de la chose a été effectuée, en général celui du domicile de l’acheteur. Le consommateur peut saisir soit l’une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, soit la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable.
4 – Les effets de l’action en garantie des vices cachés.
3 possibilités s’offrent à l’acquéreur du bien qui a réussi à établir le vice caché de la chose.
a- La résolution de la vente = l’action rédhibitoire
L’acquéreur pourra demander la résolution de la vente c’est-à-dire son anéantissement rétroactif.
Cette résolution entraînera la restitution de la chose au vendeur et celle du prix à l’acquéreur.
Le vendeur n’aura droit à aucune indemnisation même l’acquéreur a utilisé la chose ou qu’elle s’est usée de ce fait.
L’acquéreur pourra également prétendre au remboursement de l’ensemble des frais occasionnés par la vente.
b – La réduction du prix de vente = l’action estimatoire.
Il pourra choisir de conserver la chose en demandant une réduction du prix de la vente.
Ici, il faudra souvent faire appel aux lumières d’un expert pour déterminer le quantum de ladite réduction.
c – L’action en responsabilité civile.
Lorsque le vendeur est de mauvaise foi et avait connaissance du vice au moment de la vente, l’acquéreur pourra demander des dommages et intérêts s’il démontre qu’il a subi un préjudice du fait de la vente.
L’action en responsabilité civile pourra être intentée indépendamment des actions rédhibitoires ou estimatoires.
Cour de Cassation 1ère Civ 26 septembre 2012 N° 11-22399
Lorsque le vendeur est un vendeur professionnel, il existe à son égard une présomption de connaissance du vice et donc de mauvaise foi.
Cette présomption est irréfragable et s’applique même en cas de vice dit indécelable et même quand l’acquéreur est un professionnel.
A noter que la jurisprudence de la Cour de Cassation décerne la qualification de professionnel à toute personne qui se livre de façon habituelle, à une fréquence inhabituelle pour un particulier, à des opérations d’achat et de revente dont elle tire profit.
Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par M. Y… à l’encontre de son vendeur l’arrêt relève que si M. X…, chef d’agence bancaire, achetait et revendait des véhicules à une fréquence inhabituelle pour un particulier puisqu’entre 1996 et 1998, référence faite aux immatriculations sollicitées, il avait réalisé quarante et une opérations de ce genre, on ne pouvait déduire pour autant de cette circonstance qu’il se livrait de façon clandestine et habituelle à un commerce de véhicules propre à lui conférer la qualité de vendeur professionnel ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ces constatations qu’en se livrant de façon habituelle à des opérations d’achat et de revente de véhicule d’occasion dont il tirait profit, M. X… avait acquis la qualité de vendeur professionnel, de sorte qu’il était réputé connaître les vices de la chose vendue et tenu de tous les dommages-intérêts envers l’acheteur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Cour de cassation 1re chambre civile 30 septembre 2008 n° 07-16.876
Avis aux amateurs d’achat et revente compulsive de véhicules d’occasion …