Publié le 03 novembre 2016

LA NOTION DE PRIME MANIFESTEMENT EXAGÉRÉE EN ASSURANCE-VIE

Par Léonid GNINAFON

Avovat au Barreau de Clermont-Ferrand

Cour d’Appel de RIOM

Depuis de nombreuses années, l’assurance vie a largement démontré son utilité comme outil de prévoyance, comme outil de gestion ou de transmission d’un patrimoine en cas de décès.

Le principal avantage de l’assurance vie, est qu’il se dénoue dans un cadre fiscal très avantageux pour le bénéficiaire surtout lorsqu’il n’a pas de lien de filiation établi avec le souscripteur.

Le principe simplifié à l’extrême veut que le contrat d’assurance vie se dénoue hors succession en cas de décès du souscripteur, n’est pas affecté par la dissolution et la liquidation du régime patrimonial du souscripteur en cas de décès, même s’il a été contracté avec des deniers communs, s’il se dénoue en faveur du conjoint et échappe à l’emprise des créanciers du souscripteur.

L’article L132-13 alinéa 1 du Code des Assurances dispose en effet que, le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.

L’article L132-16 alinéa 1 du Code des Assurances dispose que, le bénéfice de l’assurance contractée par un époux commun en biens en faveur de son conjoint, constitue un propre pour celui-ci.

Enfin, l’article L132-14 du Code des Assurances dispose que, le capital ou la rente garantis au profit d’un bénéficiaire déterminé, ne peuvent être réclamés par les créanciers du contractant.

Autant dire que le contrat d’assurance vie peut vite devenir le moyen idéal de contourner les règles protectrices édictées en faveur des héritiers réservataires au bénéfice de son conjoint ou d’un tiers, de spolier ses créanciers en organisant son insolvabilité, ou même de spolier la collectivité aux moyens de processus plus ou moins complexes, dits d’optimisation fiscale.

Certes, le législateur a quelque peu raboté l’intérêt fiscal de l’assurance vie notamment en soumettant au paiement de droits successoraux, les contrats supérieurs à 152.000,00 euros dont les cotisations ont été versées après le 70ème anniversaire de l’assuré,.

Il reste cependant une foultitude de possibilités d’abus, et de moyens de détourner l’assurance vie de son esprit initial, et ce dans un but de fraude à des intérêts privés ou à celui de la collectivité, mais ce dernier point ne concerne que le fisc.

La notion de prime manifestement exagérée constitue un frein important à de telles pratiques, et doit inviter à la prudence tout souscripteur de contrats d’assurance-vie désireux d’y investir une part importante de son patrimoine.

Dès lors que les primes versées pour constituer le capital, ou la rente de l’assurance vie paraissent importantes compte tenu des facultés du souscripteur, risque d’apparaître un soupçon voire une présomption de volonté de fraude, à un intérêt particulier ou à l’intérêt général.

Les héritiers ou le conjoint du souscripteur se montreront d’ailleurs prompts, avec raison, à dégainer cette arme.

Dès lors, le contrat d’assurance vie risque d’être extrait de son cadre avantageux, et soumis au droit commun applicable en l’occurrence.

Ainsi, l’article L132-13 alinéa 2 du Code des Assurances prévoit que, les règles dérogatoires de l’assurance vie ne s’appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

L’article L132-14 du Code des Assurances dispose que, si les créanciers du contractant n’ont effectivement pas la possibilité de réclamer le capital ou la rente garantis au profit d’un bénéficiaire déterminé, ils ont droit au remboursement des primes lorsque celles-ci ont été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Enfin l’article L132-16 alinéa 2 du Code des Assurances, s’il prévoit qu’aucune récompense n’est due à la communauté en raison des primes payées par elle pour constituer un contrat d’assurance en faveur de l’un des époux, réserve le cas spécifié à l’article L132-13 2ème alinéa et de la prime manifestement exagérée.

La notion de prime manifestement exagérée ne fait cependant l’objet d’aucune définition textuelle.

La formule laisse aux juges du fond une importante marge d’appréciation sur ce que peut être une exagération manifeste, ce qui n’a pu qu’alimenter les incertitudes durant de nombreuses années.

La Cour de Cassation est venue peu à peu exercer son contrôle sur la définition de cette notion, et en déterminer des contours dont les juges du fond doivent tenir compte malgré leur pouvoir souverain d’appréciation.

De l’ensemble de cette jurisprudence, l’on retiendra essentiellement que le juge du fond doit se garder d’une appréciation purement arithmétique ou objective du caractère manifestement exagéré de la prime et se contenter de mettre en balance les primes payées et les revenus et/ou l’actif patrimonial du contractant à l’assurance.

L’opération d’assurance-vie a un caractère subjectif qui ne peut être simplement ignoré en aucune occurrence.

Au-delà de l’appréciation arithmétique de l’importance de la prime payée au regard du patrimoine du souscripteur, il est nécessaire pour chaque opération de tenir compte de l’intention qu’a poursuivi le contractant à l’assurance, et les conditions particulières dans lesquelles la convention s’est nouée

Le caractère manifestement exagéré de la prime versée doit s’apprécier au moment du versement de cette prime.

Les juridictions doivent scruter in concreto la situation prévalant à ce moment-là.

Elles examinent notamment l’âge, la situation patrimoniale et familiale de la personne (Cour de Cassation 2ème chambre civile 4 juillet 2007 n°06-14048) ; mais aussi et surtout l’utilité que l’opération d’assurance a pu avoir pour le souscripteur (Cour de Cassation 1ère chambre civile, 19 mars 2014 n°13-12076).

Ce dernier critère de l’utilité est donc devenu au fil de la jurisprudence, le critère essentiel et incontournable de l’appréciation du caractère manifestement exagéré d’une prime.

Sur un plan plus pratique, les situations les plus courantes de primes manifestement exagérées concernent évidemment les hypothèses où le souscripteur a fait un versement unique d’un montant très important, ou des versements très importants sur des courtes périodes.

Un souscripteur qui verserait 90 % de son patrimoine à titre de prime, ou la totalité des liquidités disponibles, ou la moitié des liquidités issues de la vente de son patrimoine immobilier pourrait encourir la sanction des juges.

Un souscripteur qui aurait amassé un important capital tout au long de sa vie ne pourra par contre être suspecté et encourir la sanction même si l’addition des primes versées dépassent largement son patrimoine disponible au moment du dénouement du contrat.

Dans la plupart des cas, c’est un ou plusieurs héritiers lésés, le conjoint lésé qui attireront l’attention sur les assurances souscrites et l’importance des sommes versées à tel ou tel bénéficiaire .

Mais, ainsi qu’on l’a rappelé plus haut, le magistrat s’intéressera au-delà de cette importance du capital ou de la rente versée au bénéficiaire, au montant de la prime versée par le souscripteur au regard de ses capacités financières mais surtout à à l’utilité de l’opération pour le souscripteur à l’assurance.

Les juges vont donc s’intéresser de très près au mobile de l’opération d’assurance envisagé, et sanctionneront cette opération dès lors qu’il ressortira de la situation que le seul mobile aura été visiblement de contourner les règles du droit des successions, du droit des régimes matrimoniaux ou du droit des obligations.

Ainsi le très grand âge du souscripteur d’un contrat d’assurance vie, son état de santé, son espérance de vie quasi nulle, rend improbable l’utilité d’une opération de prévoyance et peut laisser suspecter l’unique mobile de fraude au droit des tiers.

Votre assureur est tenu d’une obligation d’information et d’un devoir de conseil, il doit s’assurer de votre situation, de vos besoins et de l’adéquation des produits qu’il vous propose à ceux-ci.

Mais peut-il seul vous conseiller objectivement en portant un regard global sur votre situation et l’ensemble de ses implications juridiques ?

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